Le mois de décembre est considéré comme le mois des massacres en Turquie. En effet, il est question de trois massacres : le massacre de Marash en 1978, le massacre du 19 décembre 2000 dans les prisons et le massacre de Roboski en 2011. Nous allons dans cet exposé vous décrire les raisons et les objectifs qui ont conduit l’Etat turc à ces massacres. Les 3 massacres n’ont naturellement pas été reconnue par l’Etat turc et restent ainsi des massacres impunis.
Le massacre de Marash
Ce massacre a été perpétré à Karahmanmaras entre le 19 et 26 décembre de l’année 1978. Il a été initié par l’Etat turc, plus particulièrement par les services de renseignements généraux turcs (MIT) et à l’initiative du Parti d’action nationaliste (MHP) ainsi que l’organisation anticommuniste internationale de la CIA. La coalition au gouvernement à cette époque-là était le Parti Républicain du Peuple (CHP) et les Neutres(BAGIMSIZLAR). Les cibles de ce massacre n’était rien d’autre que les alévies (une minorité religieuse en Turquie), les personnes de gauche ainsi que les kurdes qui étaient des populations très majoritaires dans cette région. Les maisons des familles alévies avaient été préalablement marquées d’une croix peinte sur leurs portes pour ensuite être attaquées, détruites ou brûlées. Les habitants alévis, kurdes ou les militants de gauche ont été massacrés dans les rues, dans leurs maisons et partout dans la ville. Des enfants ont été tués dans les écoles ; des bébés ont été arrachés du ventre de leurs mères et des corps ont été entassés. Pendant que ces barbaries avaient lieu, la police avait pour ordre de ne pas intervenir. Ce massacre a fait plus de 500 personnes alors que les sources turques limitent le nombre à 100 personnes.
Un procès symbolique a été entamé et a duré plus de 30 ans. En 1991, 804 personnes ont été condamnées à des peines variées. Tandis que les 68 personnes investigatrices qui ont joué un rôle actif dans la perpétration d’un tel massacre n’ont fait l’objet d’aucun procès ni d’aucune poursuite. Ils n’ont tout simplement pas été retrouvé. De plus, les personnes qui avaient été condamnées ont été libérées suite à la signature de la loi sur la lutte contre le terrorisme par Turgut Özal, un homme politique d’origine kurde membre du Parti Républicain du Peuple (CHP). Encore un massacre impuni en Turquie dont les auteurs n’ont pas été condamnés.
Le massacre du 19 décembre 2000
Avant de pouvoir parler de ce massacre, il faut surtout dresser un historique des conditions de détention dans les prisons turques avant le massacre et les raisons qui ont incité l’Etat turc a créé des prisons de Type F.
Il faut savoir qu’en Turquie, avant le massacre du 19 décembre, les prisons étaient de véritables écoles pour les organisations politiques. En effet, c’étaient des endroits parfaits pour progresser au niveau politique et même théoriquement parlant ; c’étaient des lieux d’enseignement. Les cellules étaient énormes et les organisations politiques avaient donc l’occasion de se voir régulièrement. Ils pouvaient donc se réunir, faire de la politique à l’intérieur des prisons, faire progresser leurs membres au niveau tant théorique que pratique (des cours de propagande et d’agitation étaient même donnés). Même si on peut dire que c’était un endroit vivant, il ne faut pas oublier que les conditions de détention demeuraient horribles étant donné que la torture restait présente et toutes ses formes étaient pratiquées. Mais malgré les conditions de vie difficile, l’unité régnait parmi les prisonniers.
La construction des prisons de Type F a débuté en 1995. L’Etat turc justifiait cette mesure par des arguments d’ordre politique, juridique, sanitaire ou sécuritaire, en gros des prétextes pour justifier et imposer leur refonte carcérale tant au niveau de l’opinion publique qu’au niveau européen.
Alors la question qu’on peut se poser est la suivante: d’où vient réellement le concepte de ces prisons de type F? La prison de type F est basée sur un concept carcéral d’isolement du prisonnier politique. En d’autres termes, c’est une détention individuelle. Elle vient tout simplement des Etats-Unis et d’Europe. Après plusieurs analyses américaines et européennes, il s’avère que cette méthode vise, à travers l’isolement totale du prisonnier, l’obtention soit de la complète adhésion de ce dernier, donc de son adaptation, soit de sa destruction sur le plan idéologique sans qu’il y ait une intervention violente extérieure (comme la torture).
A présent, rentrons dans le vif du sujet. À la suite de la déclaration d’introduction de ce genre de prison, les prisonniers politiques ont débuté une grève de la faim en 1996. Elle s’est répandue dans plus de 40 prisons dans la Turquie. Plus de 2000 détenus ont participé à la grève de la faim et plus de 350 ont décidé de faire la grève de la faim illimitée, c’est à dire que soit ils obtiennent leurs revendications, soit ils se laissent mourir de faim. 12 personnes sont décédées à la suite de cette grève de la faim et des centaines ont été victime du Syndrome de Wernicke-Korsakoff. Et ces événement ont semblé faire reculé l’Etat ; la déclaration a été abolie. Mais la réalité était tout autre chose. Alors que les détenus et l’opinion publique pensaient que l’Etat avait fait marche arrière sur sa décision d’introduire de telles prisons, en vérité, la construction de ces prisons était en cours. Une fois la construction des prisons terminée, l’Etat a fait savoir qu’une opération aura lieu pour déplacer les détenus.
Les détenus ne pouvaient pas se taire face à cette situation. Alors, ils ont décidé une nouvelle fois d’entamer une grève de la faim illimité en septembre 2000. Malgré l’entrevue avec des auteurs éclairés (dont Yasar Kemal, Orhan Pamuk, Can Dündar et Zulfu Livaneli) pour faire changer d’avis les prisonniers politiques, l’Etat n’a pas revu ses positions.
Et dans la nuit du 19 décembre 2000 au 20 décembre 2000, l’opération dite « Revenir à la vie » a été entamée dans 20 prisons de Turquie. Des milliers de militaires et de policiers étaient présents avec leurs mitrailleuses, leurs bombes à gaz lacrymogènes ainsi que des bombes de gaz dont la nature nous est toujours inconnue. Mais ils avaient également à disposition des jets d’eau procurés par les pompiers. Ce jour-là est resté un jour gravé dans nos mémoires. La plus horrible des situations s’est passée à Bayrampasa à Istanbul. À 4h du matin, les détenus ont été réveillés par des bruits. Ils savaient très bien que lorsqu’il n’y avait plus d’électricité dans les bâtiments c’est qu’il s’y déroulait des opérations. Alors, ils ont barricadés les entrées avec des lits et des armoires. Leur but était principalement de protéger les détenus en grève de la faim illimité. Alors, les militaires et la police ont décidé de commencer à creuser des trous sur les toits ainsi qu’à démolir les murs, les portes, etc… Et une fois les trous ouverts sur le toit, ils lançaient du gaz (on ne sait toujours pas desquels il s’agissait) pour empêcher les gens de respirer. Mais la résistance des prisonniers politiques continuait. Le plus horrible scénario s’est en fait déroulé dans la cellule des femmes. Alors qu’elles étaient barricadées dans leurs cellules, les militaires leur ont jeté du gaz à substance chimique et leurs corps ont été brûlés. Malgré la volonté de ces femmes de se rendre, personne ne leur à ouvert les portes. Les militaires et les policiers tiraient sans avoir de cible précise, c’est ainsi d’ailleurs qu’ils ont massacrés 2 de leurs collègues et de nombreux autres détenus. Des femmes, pour empêcher l’entrée des policiers dans leurs cellules, se sont brûlés également. L’opération s’est finalisé avec 30 morts dont 28 détenus en tout et 12 détenus à Bayrampasa. Sans oublier les innombrables blessés.
Mais après le transfert des détenus dans les prisons de Type F, la grève de la faim illimité a néanmoins continué et plus de 200 personnes ont trouvé la mort.
Aucun procès n’a été entamé contre les auteurs de ce massacre. Seuls quelques militaires ont été condamnés à quelques années de prison tandis que d’autres ont été gratifié pour leurs actes. Le gouvernement de l’époque (coalition MHP et CHP) ont pris partie à cet acte.
Encore un massacre impuni en Turquie.
Actuellement, les prisons de type F sont en vigueur. Ce sont des cellules de plus/moins 5m² où il n’est pas possible de circuler. Les détenus restent d’une à trois personnes maximum. Ils se retrouvent dans un endroit silencieux où ils n’entendent que leurs souffles.
Le massacre de Roboski
Le 28 décembre 2011, des villageois de Roboski (dans la région de Sirnak, plus précisément dans la province d’Uludere), c’est-à-dire des kurdes, sont sortis de chez eux pour se rendre une fois de plus chez leurs familles qui se trouvaient dans le Nord de l’Irak dans le but de faire du commerce. Une fois leur commerce terminé et leurs marchandises chargées, ils se sont mis en route vers la frontière turco-irakienne. Alors qu’ils se rendaient chez eux avec en cortège de 38 personnes, avec des mulets qui transportaient du mazout et des cigarettes ainsi que d’autres marchandises, ils ont été bombardé par un avion militaire F-16 appartenant aux forces aériennes turques. 34 habitants de Roboski dont 19 enfants ont été massacrés dans cette attaque. Selon les autorités, cette attaque a été perpétrée car c’était une zone utilisée par le PKK et que le but de l’opération était de leur tendre un piège. Mais nous savons très bien que ce n’est pas le cas. Un des survivants du massacre avait d’ailleurs déclaré que cela faisait longtemps qu’ils faisaient ces allers-retours pour faire du commerce et il n’a jamais vu des troupes du PKK passer par ces montagnes pour rejoindre la frontière.
Aucune enquête n’a vraiment été entamée à l’encontre des responsables de ce massacre. Pour ce qui est des personnes qui ont perdu leurs proches, différents procès ont été entamés et se sont finalisés par des peines pécuniaires. En juin 2014, un non-lieu a été prononcé contre le personnel militaire présent lors de l’opération. On ne sait toujours pas qui a donné l’ordre de bombarder. Aucun procès n’a donc été entamé contre les auteurs de ce massacre. Les habitants de Roboski qui ont perdu leurs proches continuent leur lutte pour que justice soit faite. Encore un massacre impunis en Turquie.